L’énergie interne
Pour ces vacances, en vue de compléter votre entrainement personnel, qui j’en suis sûr est très intensif… entre un chapon, quelques canards, deux ou trois bouteilles de grands vins et plusieurs kilos de desserts riches en chocolats et autres sucreries…, je vous propose un article sur l’énergie interne.
Il sera très intéressant pour l’ensemble de nos membres que ce soit bien sûr dans le cadre du Qi Gong, mais aussi pour les karatékas ou les pratiquants de Self-défense.
LES MYSTERES DE L’ENERGIE INTERIEURE
Un texte de E. Charlot extrait du Karaté Magazine de mai 2007 suite à entretien avec Shigeru Uemura
Expert de shito-ryu, puis fondateur d’une école de taido et naturopathe, Shigeru uemura a consacré dix-huit ans de sa vie à des recherches approfondies sur l’énergie, en Europe, en Chine, au Japon. Sa vision, à la fois profonde, érudite et décapante, éclaire singulièrement le sujet.
Ma rencontre avec l’énergie interne
Élevé dans le Japon de l’après-guerre, une période terrible, j’ai commencé par entrer trois ans dans une école bouddhiste, sans doute pour chercher des réponses dans un monde qui n’en fournissait plus. Je me suis tourné ensuite vers le karaté, où j’ai été l’assistant de Me Nino. J’allais au dojo de la police, j’étais fort et bagarreur. Je suis arrivé jeune en France, sans rien, avec l’esprit et l’orgueil d’un samouraï, pour diffuser le shito-ryu. J’ai enseigné jusqu’en 1978, notamment à des hommes comme Philippe Pivert, et puis j’ai cessé. La fédération de l’époque voulait me faire passer un brevet d’État, je trouvais cela humiliant. J’en ai profité pour aller à la source de mon karaté, pour étudier librement. Il y avait trois racines, le Japon, Okinawa, la Chine. J’ai découvert le tai chi chuan à Taiwan, puis le i-chuan avec un élève direct du fondateur, Me Wang, un iconoclaste génial et peu apprécié des experts de son époque. Un combattant qui avait plus de 1000 défis victorieux à son actif et qui a approfondi, diffusé, popularisé un art et des principes qui étaient complètement méconnus des Chinois eux-mêmes.
Je parcourais la Chine en pratiquant dans les écoles et en combattant contre les experts. C’était, à mon idée, la meilleure façon de voir ce que ça valait. Au i-chuan, j’ai pratiqué des exercices de « tui shou » avec une jeune fille, elle m’a envoyé valser à trois mètres ! C’était magique. Mais la magie, c’est quand on ne comprend pas. J’ai perçu que c’était un problème postural, des éléments techniques que je ne maîtrisais pas. Un peu plus tard, j’ai fait un combat avec un champion de ce style et je l’ai frappé. Il a frappé ma frappe avec son ventre ! Il m’a presque cassé le bras. C’était lumineux. Il y avait des concepts techniques à découvrir, des mécanismes ondulatoires à maîtriser. J’ai commencé cette étude en me disant qu’il me faudrait quelques années. j’ai mis 18 ans, passés en allers et retours, en science comparée pour tenter de faire le pont entre les cultures. C’étaient des hommes simples, qui n’expliquaient rien et n’auraient pas pu le faire, mais qui avaient les moyens de me montrer ce qui me manquait. Moi qui n’avais pas leur génie, je me suis attelé à la tâche de collecter et de comprendre.
Deux traditions, une science à bâtir
La notion d’énergie est vaste et floue dans votre culture pourtant si précise sur le plan théorique. C’est un terme qui désigne un ensemble de choses diverses et complexes. Les ondes déplacent de l’énergie sans transporter de matière, la masse est aussi de l’énergie… E=MC2, c’est facile à dire, mais votre science a beaucoup de mal à s’emparer de phénomènes comme celui-là. La culture au quotidien sent qu’il y a quelque chose, mais la science tourne autour sans pouvoir mettre le doigt dessus. L’énergie est entre la matière et « autre chose » et ce concept n’a pas de sens en Occident. C’est une limite. Par exemple, dans votre médecine par ailleurs si efficace, il manque de cette subtilité : on perçoit ce qui est de l’ordre du physique et on agit dessus, mais ce « matériel qui n’est d’aucune matière » -pour moi la définition de l’énergie- on en sent les effets évidents, mais on ne peut rien en dire avec les mots de la science. Elle a même du mal avec l’électricité, le magnétisme, ou même la gravitation… La charge positive ou négative de la matière n’est pas observable, et pourtant, elle existe !
Cela dit je ne suis pas de ceux qui survalorisent les intuitions pré-scientifiques de la Chine. Même au Japon, beaucoup de gens doutent de la science des méridiens. Et il faut le reconnaître, sur le plan théorique, tout cela ne tient pas debout ! Jusqu’en 1930 par exemple, les Chinois n’avait aucune idée du pancréas. L’organe a été ajouté à cette époque à la théorie pour coller avec les découvertes occidentales. Faire une confiance absolue à une théorie millénaire, c’est un peu comme si en Occident on travaillait encore sur des traités du XIe siècle. Il faut prendre un peu de distance. Les bons résultats de l’acupuncture, de l’ordre de 50 %, montrent qu’il y a sans doute, dans nos cultures, une approche empirique intéressante, mais cela ne suffit pas. Nous sommes à l’aube de quelque chose de nouveau, l’énergie est partout, dès le niveau « nana », à l’échelle de la molécule, tout est échange, vibration, onde… Tout a un effet sur l’ensemble comme le caillou dans la mare. Nous en sommes aujourd’hui à l’alchimie de la science du futur.
Le Chi et le Ki, les différences
Le « Ki », japonais et le « Chi » chinois Sont très différents. Il y a une confusion liée à la domination culturelle des idéogrammes chinois sur la culture japonaise originelle. La culture chinoise est pragmatique, le « Chi » c’est matériel, il y a celui de l’eau, de la terre. Au Japon, la culture est plus abstraite, le Ki est la manifestation multiple de l’énergie unique. Un peu comme une colonne dans laquelle on ouvrirait des fenêtres sur des manifestations spécifiques positives, ou négatives…
De l’Occident, on croit à une culture commune sur ces principes fondamentaux, il n’en est rien. Les arts martiaux chinois cultivent globalement une énergie mâle, plus dure. Les arts martiaux japonais ont perçu l’importance d’une énergie plus féminine. Les sabres chinois sont massifs. On ne frappe pas durement avec un sabre japonais, on frotte la lame pour obtenir la coupe. Okinawa a aussi développé une façon de frapper spécifique. Tout cela fait partie de conceptions différentes de l’énergie et de ses effets.
L’énergie interne ? D’abord de la technique !
Le mystère, dans les arts martiaux, c’est de la science. L’énergie dans les arts martiaux, c’est d’abord une technique précise -et elle parait d’autant plus miraculeuse que celui qui la fait l’exécute avec facilité sans savoir quoi expliquer. Dans la frappe, par exemple, la qualité de la vibration crée des choses différentes. Ce n’est pas de la magie, c’est de la balistique, On sait qu’une balle en plomb, qui éclate, fera plus de dégâts qu’une balle de fer, qui traverse. Certaines frappes auront la capacité vibratoire d’éclater à l’intérieur. Le karaté est un patrimoine extrêmement élaboré qui permet à des hommes âgés de faire mieux que des jeunes. Ce n’est pas un miracle, c’est de la maîtrise. À mon âge, je peux me retourner d’un coup à plat dos en me tenant en appui sur les mains à 10 cm du sol, frapper en une seconde plusieurs coups dans différentes directions avec puissance. C’est de la gestion musculaire, du placement, des courbes, des trajectoires, des appuis, des forces naturelles, comme celles de la gravité, de l’inertie. Un homme dont les muscles se relâcheraient d’un coup tomberait vers le sol avec énormément de puissance ! La gravitation, c’est la première des forces, parce que sans elle nous n’aurions aucun appui comme si nous nous déplacions dans l’eau.
Quand j’ai commencé les arts chinois, on m’a dit que je devais d’abord me tenir pendant des années immobile dans la position de l’arbre. Le discours spirituel qui accompagne cette méthode est un fatras inutile. En revanche, il faut ce temps-là pour modifier la structure musculaire et obtenir les moyens physiques qui vont permettre de transmettre l’énergie dans la frappe. En outre on doit imaginer les mouvements, un procédé efficace pour progresser que vous appelez visualisation. Le secret n’est pas caché, ni magique, il demande juste énormément de travail. Cela dit, à force de précision et d’intuition, le génie des maîtres les amène parfois à la limite de ce qui est, encore, l’inconnu.
Le « Fa Ling », les huit techniques d’explosion
Le phénomène ondulatoire de la frappe, qui la rend « magique » pour un non initié, les experts chinois l’appellent le « Fa Ling ». C’est essentiellement ce qu’ils recherchent la capacité à rendre la force explosive. En karaté, à un petit niveau, on exploite essentiellement l’inertie. On lance la frappe et on suit. Cela ne va pas loin. Je dirais même que la technique commence quand on parvient à effacer l’inertie pour y substituer la force explosive. La tradition martiale en a identifie de nombreuses formes. J’arrive désormais à huit, dont trois de base : la compression, l’extension, le frottement. Rien de tout cela n’est secret ni caché. Rien n’est -vraiment difficile à expérimenter. Il faut en revanche du travail pour installer cette compréhension des phénomènes dans les techniques. Je crois aussi que c’est universel. L’une des plus belles manifestations de Fa Ling, c’est le knock-out de Mohammed Ali sur Georges Forman ! Ali n’avait pas fait d’arts martiaux, mais il avait l’intuition de la frappe non pas puissante, mais efficace.
Tranquillement rapide
Pour faire des arts martiaux un moyen de mieux exploiter l’énergétique, il y a des principes simples regroupés autour de deux concepts, seules clefs pour progresser en âge dans les arts martiaux ; le premier est le relâchement qui rend le corps disponible qui permet la gestion technique. Quand vous utilisez cinq muscles, réduisez à deux. Celui qui frappe avec cinq muscles est moins efficace et s’épuisera beaucoup plus vite. Quand on regarde un mauvais combat, c’est un peu comme quand on est assis à côté d’un mauvais conducteur, on termine noué et courbatu d’avoir freiné de tout son corps.
Le second est le principe général d’économie. Chercher à obtenir le même, ou un meilleur résultat avec moins de dépense. Ce n’est pas la force qui doit produire du mouvement, mais le mouvement qui produit de la force. Le bon combattant cherche non pas la vitesse, mais la rapidité. C’est-à-dire que les gestes ne doivent pas être effectués comme si on les précipitait, mais dans un timing juste, pour toucher rapidement la cible. Cette rapidité n’est pas réactivité neuro-musculaire, mais technique, placement, trajectoire. Par exemple, quand on dégaine un sabre, le geste est plus rapide quand on recule en même temps la jambe et qu’on fouette avec le poignet. Gagner du temps c’est une question d’orientation articulaire, de placement d’appui, de suppression de gestes intermédiaires. De l’intérieur, vous êtes « tranquille », de l’extérieur, cela parait incroyablement rapide.
La transpiration des samouraïs
La recherche de la meilleure gestion de l’énergie, c’est ce à quoi les samouraïs consacraient toute leur vie. Ils avaient compris que l’énergie est un concept d’ordre général, qui va de l’alimentation, jusqu’à la manière de penser. Quand la vie est en jeu, tout est gestion de l’énergie, de la posture parfaite qui permet la meilleure répartition du poids et de la gravité sur la structure osseuse, de la façon de marcher, d’économiser le moindre geste jusqu’à la posture mentale, où il s’agit là aussi de choisir juste, d’élaguer. Après une séance sportive, on peut boire une boisson énergétique. Sur un champ de bataille, survivent ceux qui dépensent le moins, qui ne se fatiguent pas. C’est pour cela que les samouraïs considéraient que suer pendant le combat était déshonorant, signe de manque d’efficacité. Ce concept, il l’ont étendu à l’existence dans son ensemble et c’est l’origine de note travail martial.
C’est pourquoi, je considère les arts martiaux comme la seule discipline capable d’opérer une rééducation générale de l’être, de nous ramener à une gestion plus instinctive, plus animale de nous-mêmes. Les animaux prennent rarement de risque, car la blessure, c’est la mort. Ils ont des mécanismes de politesse, fuient les combats difficiles. Ils cherchent naturellement ce qui est bon pour eux et esquivent le danger. Les hommes forts meurent facilement dans la rue d’un coup de couteau parce qu’ils n’auront pas su intégrer cette gestion instinctive : éviter le mauvais combat, éviter d’être touché. En karaté, j’aime bien considérer le coup, symboliquement, comme un coup lie couteau. Cela aussi, c’est de la gestion énergétique, au niveau émotionnel. Le réflexe de politesse, c’est une bonne inertie, une force qui vous entraîne du bon côté et évite le combat que d’autres, par mauvaise inertie, ne sauront pas voir venir.